Il y aurait beaucoup d’aspects à aborder en cette journée internationale du droit des femmes.

J’ai choisi de mettre en lumière un domaine particulier où les inégalités entre hommes et femmes sont moins connues mais pourtant frappantes : la santé mentale.

Faut-il appliquer une grille d’analyse genrée lorsqu’on souhaite aborder le sujet de la santé mentale ? La réponse est simple et limpide : oui. 

Oui, car dans ce domaine comme dans tant d’autres, les stéréotypes se développent aussi facilement que le lichen sur un tronc d’arbre. 

Oui, car les contraintes que vivent les femmes dans notre société ne sont pas les mêmes que celles que les hommes subissent. 

Oui, car les approches psychiatriques et/ou psychologiques ne tiennent pas toujours compte de tous ces paramètres clivants qui viennent bousculer nos vies. 

Dans cet article, j’effleure diverses thématiques, qui à elles seules, demanderaient une étude approfondie. Si cette publication vous donne l’envie d’aller plus loin dans le décryptage de celles-ci, j’aurai atteint mon objectif.

Femmes et santé mentale

Quelques chiffres illustrant la santé mentale des femmes

Comme dans beaucoup d’autres domaines, la situation des femmes en termes de santé mentale est moins favorable que celle des hommes. Des données suisses récentes  nous apprennent que:

  • 20,7% des femmes font état de problèmes psychiques moyens à importants, contre 15,1% des hommes
  • 15,2% des femmes se disent parfois à tout le temps abattues et déprimées, contre 9% des hommes
  • 28,8% des femmes se disent parfois à tout le temps très nerveuses, contre 20,5% des hommes
  • 31,8% des femmes souffrent de symptômes dépressifs contre 25,5% des hommes
  • 42,4% des femmes se sentent parfois à très souvent seules, contre 29,5% des hommes
  • Les femmes sont deux fois plus touchées par la dépression que les hommes et consomment également plus de psychotropes.

Genre et santé mentale

Chaque homme, chaque femme vit une vie parsemée d’embûches. Il n’en reste pas moins que naître homme ou femme conditionne à s’adapter à des rôles déterminés par notre entourage social et culturel. Dans ce contexte, il n’est donc pas étonnant que des inégalités existent aussi dans le domaine de la santé mentale. Parfois elles sont objectivables, car elles proviennent de spécificités physiologiques. Parfois, elles sont liées à des raisons sociologiques , des conceptions sociales, culturelles ou historiques. Les femmes font face à des contraintes physiques, psychiques et sociales qui ont un impact négatif sur leur état de santé… mais aussi sur leur bien-être et leur satisfaction générale.

En effet, la santé mentale ne se résume pas à une absence de troubles psychiques. Elle comprend le bien-être, l’optimisme, la satisfaction, la confiance en soi, ou la capacité relationnelle. Elle est influencée par une interaction complexe de nombreux facteurs tels que les relations sociales, les événements de la vie, des facteurs génétiques, le revenu, la formation, l’emploi, le logement, l’accès aux services, les violences, les discrimination, ou encore l’environnement dans lequel on vit. Parce qu’il a une influence sur tous ces facteurs, le genre a inévitablement une influence déterminante sur la santé mentale.

femme et santé mentale

Femmes et hommes sont mal diagnostiqué.e.s

Il existe une conception historique de la femme instable psychologiquement, plus fragile, plus sensible. Quand on décortique les chiffres, on remarque que les femmes sont plus diagnostiquées parce que les symptômes des troubles correspondent au rôle social qu’on attend d’elles. On peut citer par exemple le syndrome de dépendance. Le contraire s’observe aussi, poursuit la psychologue, si des femmes ne répondent pas aux attentes sociales, qu’elles s’y opposent notamment par la violence, elles vont être diagnostiquées bipolaires. 

La prévalence des dépressions chez les femmes s’explique aussi par l’accès aux soins. Les hommes ont moins recours aux services de santé mentale que les femmes. Ils auront tendance à reporter leur mal-être sur autre chose : manque de motivation, fatigue… Les hommes meurent trois fois plus de suicide que les femmes. Par contre, si un homme fait une dépression, il sera davantage “pris au sérieux” et saura mieux gérer sa santé mentale. 

Ces disparités indiquent en tout cas que les rôles sociaux influencent l’identification des symptômes chez les deux sexes.

Les rôles sociaux ont un impact sur l’égalité

Les facteurs psychosociaux qui influencent la santé mentale des femmes ne sont pas les mêmes que pour les hommes. Des événements critiques tels que la grossesse, un avortement, des discriminations, des violences ou la parentalité en solo (la majorité des parents seuls sont des femmes) ont un impact direct sur la santé mentale des femmes.

Au-delà de ces événements, les rôles sociaux attribués aux femmes ont un lourd impact sur leur santé mentale : responsabilité des tâches ménagères, soin des enfants, aide des proches….  Une enquête réalisée fin 2021 en France révèle que 81 % des femmes ne pensent pas “à s’occuper d’elles mais avant tout de leurs proches”. Elles peuvent accompagner ces derniers au cabinet médical, ou prendre rendez-vous pour eux, mais pas pour elles.

Ce sont également les femmes qui subissent les répercussions financières de la vie familiale (temps partiel, salaires et retraites moindres, etc.). Cette surcharge familiale et domestique, cumulée souvent avec une vie professionnelle augmente le risque de surcharge mentale et émotionnelle, et par conséquent le risque d’épuisement, mais aussi de troubles anxieux ou dépressifs.

femme et santé mentale

Le travail, incubateur de souffrance chez les femmes

Une étude menée en 2016 par l’Université de Columbia a établi un lien étroit entre l’écart de rémunération entre hommes et femmes, et la survenue de symptômes dépressifs et d’anxiété. Une autre étude australienne révèle que les femmes victimes de sexisme institutionnel ont le sentiment de ne pas “appartenir” à leur secteur d’activité, ce qui a un impact non seulement sur leur satisfaction au travail, mais également sur leur santé mentale (sentiment de solitude, troubles dépressifs).

Entre sexisme, harcèlement et discriminations, le milieu du travail peut ressembler à un incubateur de souffrance psychique pour les femmes. Selon un sondage réalisé pour Young Women’s Trust, au Royaume-Uni, près d’un quart des femmes du pays seraient victimes de harcèlement sexuel au travail, mais seules 8% de ces femmes le signalent. Toujours selon ce sondage, 31% des femmes disent avoir été victimes de discrimination fondée sur le sexe lors de la recherche d’emploi et plus de 40% des mères déclarent subir des discriminations à cause de leur grossesse. Elles sont 52% à rapporter que ces discriminations, et donc leur vie professionnelle, ont un impact négatif sur leur santé mentale.

Les femmes, victimes de violences

Les femmes sont toujours aujourd’hui les principales victimes des violences d’ordre physique, sexuel ou psychologique. En 2017, sur les 35’000 victimes d’infractions en Suisse, 77% étaient des femmes. Mais 87% des auteurs étaient des hommes… (5)

Les conséquences de ces violences se traduisent, notamment, par des traumatismes psychiques même des années plus tard. Ces victimes ont un risque plus élevé de développer des symptômes dépressifs, des comportements à risques, des états de stress post-traumatiques, voire de faire des tentatives de suicide. Dans beaucoup de cas de violences, notamment de violences sexuelles, les victimes ne rapportent pas l’infraction avant plusieurs années, ce qui a pour conséquence de les priver des soins, du soutien et de l’accompagnement nécessaires. Ce délai peut aggraver la souffrance psychique des victimes et augmenter la durée des traitements lorsqu’ils sont enfin reçus.

santé mentale

Les composantes biologiques, psychologiques et sociales sont liées

Les femmes sont dans une surcharge permanente. En réponse à leurs plaintes, les médecins prescrivent trop souvent des anxiolytiques pour un problème social et culturel plus qu’individuel… 

La détresse des femmes est trop souvent perçue comme une pathologie au lieu d’être liée à un système défaillant.

Mais reconnaître les causes sociales ne signifie pas qu’il faut s’y limiter. Il faut agir sur  le plan biologique, psychologique et social conjointement. Tout est imbriqué. 

Exemple avec les troubles du sommeil. Si une femme prend son enfant en bas âge seule la nuit, elle va pouvoir développer des troubles du sommeil qui entraînent une dépression très sévère. Le biologique est donc altéré mais l’origine est sociale. Un médecin va-t-il analyser les rapports de pouvoir dans le couple pour expliquer cette dépression ? Pourtant, sans tenir compte des rapports de genre, la responsabilité des troubles peut retomber sur les femmes. Elles se sentent alors non seulement mal mais également responsables de leur état.

santé mentale

Le sexe et le genre masculin sert de référence pour le soin des femmes

 La façon dont le système de santé perçoit les femmes influence grandement le type et la formulation du diagnostic, ainsi que les modalités de prise en charge, particulièrement en matière de santé mentale. Les professionnels, cliniciens et chercheurs, femmes comme hommes, participent à ce système inégalitaire par leurs représentations liées au genre.

Alors qu’il est bien établi qu’hommes et femmes présentent des particularités biologiques dont la recherche médicale et pharmacologique doit tenir compte, de nombreuses études sont effectuées avec un échantillon uniquement masculin ou sont publiées sans préciser l’effet du sexe sur leurs résultats. Ainsi, à travers la littérature scientifique, c’est souvent le sexe et le genre masculin qui sert de référence pour le soin des femmes. 

De nombreuses voix provenant des milieux associatifs ou professionnels militent encore aujourd’hui pour un système de santé qui prenne mieux en compte les différences entre les femmes et les hommes et veillent à ne pas entretenir des préjugés nuisibles pour la santé physique et mentale des femmes. 

Du chemin a été parcouru. Il en reste beaucoup à faire.

Et dans cette démarche, les thérapeutes sont partie prenante, tant dans le cadre de leurs activités de recherche que dans celui de l’accompagnement et du soin psychique.

femme et santé mentale